Ce qui a changé depuis la loi Taubira et la reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité
La réparation "mémorielle" de l'esclavage progresse, le volet financier au point mort.
10 mai 2021 à 14h45 par Par Marine PENNETIER AFP
Vingt ans après la loi reconnaissant la traite et l'esclavage comme crimes contre l'humanité, la réparation "politique et mémorielle" a gagné du terrain en France, prenant le pas sur le volet financier qui reste, lui, dans les limbes.
L'adoption le 10 mai 2001 de la loi qui porte le nom de la ministre de la Justice de l'époque, Christiane Taubira, avait suscité l'espoir de voir se tourner la page de 150 ans de déni et de silence sur ces faits, responsables de la mort prématurée de milliers d'hommes et de femmes dans les colonies françaises d'outre-mer.
Qualifié d'historique, le texte avait également instauré l'obligation d'accorder "la place conséquente" que la traite négrie̬re et l'esclavage méritent dans les programmes scolaires et programmes de recherche.
Deux décennies plus tard, les programmes ont été enrichis, la Fondation pour la mémoire de l'esclavage et le Mémorial ACTe (Centre caribéen d'expressions et de mémoire de la traite et de l'esclavage) ont vu le jour a̬ Paris et a̬ Pointe-a̬-Pitre et le 10 mai a été érigé journée nationale de commémoration des mémoires de la traite négrie̬re, de l’esclavage et de leur abolition.
"Toutes ces choses participent de la réparation morale et symbolique", souligne Myriam Cottias, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et coordinatrice du projet "Repairs" consacré a̬ la question des réparations et des indemnités au titre de l'esclavage.
"C'est un point fondamental, ça a permis d'offrir un cadre de légitimité aux personnes qui se sentent concernées ou aux descendants de l'histoire de l'esclavage", poursuit-elle. "Ca a donné une dignité a̬ des personnes qui se sentaient mises a̬ l'écart, sur le bord de la société française".
- "Ca va prendre un sie̬cle!" -
Pour Maboula Soumahoro, maiÂtresse de conférence a̬ l’université de Tours (centre-ouest), et co-fondatrice de l'association Black history month, "ça avance, oui, mais pas suffisamment vite, ça va prendre un sie̬cle, a̬ ce rythme!"
"Il y a encore un tre̬s gros malaise en France face a̬ cette période de l'Histoire", poursuit-elle. "Quand on compare avec le musée national d'histoire et de la culture afro-américaine de Washington et la mise en place d'une commission au Congre̬s américain chargée de se pencher sur la question des réparations financie̬res... on n'en est définitivement pas encore la̬".
Soulevée de̬s l'abolition définitive de l'esclavage en 1848 en France, la question de la réparation financie̬re ne se concrétise que pour les propriétaires d'esclaves qui sont alors indemnisés au titre du préjudice subi.
Rien n'est versé aux 250.000 esclaves que comptait la France a̬ la veille du décret d'abolition, dont pre̬s de 90.000 en Guadeloupe, 75.000 en Martinique, 60.000 a̬ la Réunion et 12.000 en Guyane.
Des faits "absolument choquants" pour le président de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage Jean-Marc Ayrault.
Il n'en reste pas moins que le débat sur la réparation matérielle "est évidemment complexe" et "doit eÂtre mené sereinement, ce qui n'est forcément pas facile", ajoute l'ancien Premier ministre socialiste.
Comment en effet identifier les descendants d'esclaves? Qui serait éligible a̬ ces réparations financie̬res? Quelle forme prendraient-elles? Et quel mode de calcul retenir?
"Il y a un débat sur la moralité meÂme de demander une réparation financie̬re de l'indemnité versée aux propriétaires d'esclaves qui reposait sur une évaluation du corps d'esclave", rele̬ve Myriam Cottias. "On ne peut pas demander le remboursement d'une indemnité qui reposait sur un crime contre l'humanité".
- "Casse-teÂte" -
Casse-teÂte juridique et généalogique, la question de la réparation matérielle divise jusque dans les rangs des associations et descendants d'esclaves.
D'un coÂté, le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) qui a multiplié les procédures judiciaires ces dernie̬res années.
De l'autre, le Comité de la marche du 23 mai 1998 et d'autres associations de descendants d'esclaves qui estiment que les "souffrances de leurs aiÈeux" ne sont en aucun cas "monnayables".
La classe politique marche, elle, sur des œufs et s'en tient pour la quasi-majorité aux propos du poe̬te martiniquais Aimé Césaire selon lequel "il n'y a pas de réparation possible pour quelque chose d'irréparable et qui n'est pas quantifiable".
"La seule dette qui doit eÂtre réglée" aux descendants d'esclaves "c'est de faire avancer l'humanité", soulignait François Hollande en 2015.
Emmanuel Macron ne s'est pas exprimé officiellement sur la question, préférant mettre l'accent sur le volet mémoriel.
Le chef de l'Etat a notamment promis la création d'un mémorial national aux Tuileries pour rendre hommage aux victimes de l'esclavage. Ce projet, qui devait voir le jour en 2021, a été retardé en raison de dissensions sur le choix des artistes sélectionnés.